J’ai peur d’ouvrir les yeux. Peur aussi de les fermer. La
réalité n’est jamais celle que l’on croit. J’étais assise dans ma chambre, un
nounours démembré entre les bras. Le silence, le vide, les ténèbres.
J’attendais. Je ne savais pas quoi, mais j’attendais. Mes cauchemars
m’empêchaient de dormir et le noir de la pièce semblait m’enlacer de ses bras
gelés et me serrer de plus en plus fort, jusqu’à ce que l’oxygène ne puisse
plus atteindre mes poumons et que mon cœur, lentement mais irrémédiablement,
s’arrête petit à petit de battre. Il y avait quelque chose ici. Quelque chose
que je ne connaissais pas. Quelque chose d’inhumain. Je pouvais sentir sa
présence autour de moi, m’encerclant, me soufflant dans le cou, me frôlant de
ses membres dégoulinants. Et je restais là. Si je fermais les yeux, si je
m’endormais, cette chose allait de nouveau s’infiltrer en moi et les cauchemars
qui m’envahiraient alors seraient bien pires que la réalité.
Je ne
pouvais pas sortir, ça bloquait la porte. Lentement, je m’adossai contre le
mur. Mon nounours toujours dans mes bras. J’entendais la télévision à travers
la cloison et je me concentrais sur ce doux ronronnement rassurant. Mais cette
respiration rauque était toujours là, aussi envahissante que n’importe quelle
musique. Je sentis une larme couler le long de ma joue. La peur est une chose
que l’on ne contrôle pas, elle vous prend et ne vous lâche plus. Quoi que vous
fassiez, quoi que vous tentiez, vous ne pouvez pas lui échapper. Elle me
tenait, et j’essayais de m’arracher à son étreinte, en vain. Quelque part, une
porte claqua. Je sursautai et serrai un peu plus fort mon nounours contre ma
poitrine. La télévision s’était tue. J’étais seule à présent. Seule avec elle.
Je secouai la tête, sortit lentement de mon lit, en tremblant et en respirant
fort pour ne pas l’entendre. Ce souffle chaud. Instinctivement, je me dirigeai
vers le commutateur. Mais comme je l’actionnai, aucune lumière. Rien. La lampe
avait grillé.
Un murmure
soudain, là, quelque part derrière moi. Je criai. De peur et de honte, un cri
aigue de petite fille apeurée. Ce que j’étais. Je ne fis plus le moindre
mouvement, n’osant esquisser le moindre geste. C’était quelque part, tapi dans
l’ombre et ça n’attendait qu’une seule chose : que je fasse une erreur.
Mais quel genre d’erreur pouvais-je commettre ? J’étais déjà tellement
terrifiée, déjà tellement accessible à toute menace que je ne savais pas ce que
ça attendait. Je restais là pendant une dizaine d'interminables minutes, avant
de me retourner, aussi doucement que possible. Et je les vis. Deux points
lumineux dans ce noir palpable. J’avais peur mais je ne pouvais pas m’empêcher
de regarder. Deux yeux d’une lueur aveuglante et pourtant si vide de sens. Je
m’approchai comme attirée. Un vulgaire moustique autour d’une lampe. Je sentis
mon nounours glisser le long de moi, mais je ne le retins pas. Il tomba à terre
avec un bruit sourd. Mais je ne réagis toujours pas, me rapprochant de ses deux
yeux qui me dévisageaient dans les ténèbres. Mes pieds se posaient à terre mais
ne produisaient aucun son, je semblai marcher sur un nuage. Bientôt, je ne fus
plus qu’à quelques centimètres des yeux et je pouvais sentir son souffle chaud
et rugueux. C'était comme si je l’avais toujours connu. Comme si j’avais toujours
été là, près de lui. Je déglutis difficilement mais la peur n’était plus là. Mes
paupières grandes ouvertes fixaient les lueurs rouges. Ma main se leva et
lentement, vint faire un signe devant ces yeux. Ils ne réagirent pas.
J’attendais,
toujours dans le noir, toujours dans le silence, les bras ballants, face à face
avec ça. J’attendais. Mon esprit était de plus en plus embrouillé, comme si
quelque chose venait intercepter mes pensées et les façonner à sa façon. Tout
cela, je m’en rendais compte, mais la vision de ce rouge vaporeux me
remplissait d’une sensation nouvelle, un mélange de curiosité et de peur, même
si cette peur était relativement oubliée. Et puis je fermai les yeux,
lentement, mes paupières tombèrent. Ma vision devint floue jusqu’à ce que je n’en
aie plus du tout. Et puis ce fut le néant total, le plongeon vers le monde
inconnu des rêves. Les yeux rouges furent oubliés. L’instant de mon propre
oubli. Je sursautai, le bruit d’un terrible gargouillement résonna dans la
chambre. Je tombai à la renverse, ma main rencontrant le nounours à terre, je
le repris et le serrai contre ma poitrine. Les yeux rouges avaient disparu mais
toujours ce bruit infernal. Ma respiration m’empêchait de savoir si nous étions
deux dans la pièce. Je me relevai et difficilement, en tremblant et en
trébuchant, j’atteignis de nouveau le commutateur. Je l’actionnai et la lumière
envahit alors ma chambre. Froide et rassurante. Il n’y avait rien. Seulement la
peur. Je soupirai, soulagée et me rassis sur mon lit, le cœur encore battant. Quelque
chose frôla mon pied, je sursautai, mais je savais qu’il n’y avait rien. La
lumière se mit à trembloter, puis plus rien, de nouveau le noir. Je souriais
toujours pourtant. J’étais simplement rassurée.
J’allais me recoucher, tranquillement et
simplement, quand je sentis comme une vague gelée et littéralement mortelle me
pénétrer. La chose m'entoura de toute part. Je ne fis plus qu'un avec elle. Je
criai mais ça me fit rapidement taire…
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"Plains ceux qui ont peur car ils créent leurs propres terreurs" |
Stephen King