jeudi 14 juillet 2011

Petite Peste


 12 juillet 2109
            Le Vorien, anciennement appelé les États-Unis, lâche leurs deux bombes nucléaires sur Koliga et Bilong, deux grandes villes du minuscule, mais extrêmement riche, puisque c’était la première puissance économique mondiale, du pays nommé Kogalitcha. Celui-ci avait fait son apparition en Russie en 2065, soit même pas 50 ans auparavant. Ces deux bombes ont eu des conséquences désastreuses sur la planète. Le cycle de destruction de la Terre accéléra son rythme. C’est ainsi que ce qui aurait dû prendre au minimum cent cinquante années en prit dix. La température terrestre s’éleva de plus de trente degrés. Ainsi le Groenland, qui plus tard sera submergé pas les eaux, et la Sibérie atteignirent des températures tropicales, d’ailleurs la Sibérie est habitée aujourd’hui (2260) comme l’était 200 auparavant la France. Mais le problème majeur qu’entraînèrent ces bombes fut l’eau. En effet la pollution générée prit une envergure inimaginable, sur toute la planète, il ne resta plus qu’une dizaine de nappes phréatiques potables, mais dès l’été, où la température atteignait des sommets, elles s’évaporaient, la chaleur était donc insupportable et encore ce mot n’est rien comparé à la réalité.
Conférence du 14 juillet 2260, Mr Bati Charles

25 octobre 2210
            -    Trisha tu viens à ma fête ce soir ?
            La dénommée Trisha regarda la jeune fille qui venait de lui adresser la parole et reconnut Karna.
-         No problem, Ka !
Elles se séparèrent sur un sourire et une heure de rendez-vous. Trisha était une jeune
fille hautaine, elle se tenait toujours droite et regardait les gens de haut, tous les gens, que ce soit son père, le directeur du seul collège de Sibérie, ou ses ami(e)s, elle les regardait tous de haut, méprisante. Pourtant, c’était une jolie fille, pas belle, mais pleine de charmes, avec ses jolies boucles brunes et ses yeux noisette. Elle avait un visage tout en pointe et un grain de beauté au de la bouche. La plupart du temps, elle s’habillait avec une jupe et un T-shirt assez moulant, dessinant les formes qu’elle n’avait pas encore complètement. Son père, Mr Charles Bati, était la troisième personne la plus riche de toute la Sibérie, il travaillait dans le domaine de la culture et se battait ardemment pour préserver des sources d’eau. La jeune adolescente de 15 ans ne comprenait pas pourquoi il faisait tout ça. Après tout, eux avaient toute l’eau dont ils avaient besoin, pourquoi donc dépensait-il de l’énergie à essayer de sauver ces miséreux qui crevaient de soif ou de maladie en buvant de l’eau croupie ? Son père pleurait presque quand il voyait une dizaine de personnes se battre pour accéder à une flaque d’un liquide vert ou noir, bref qui ne ressemblait en rien à de l’eau potable. Vraiment, elle ne le comprenait pas.
            Sur le visage pointu de Trisha apparut un sourire coincé. Elle pensait à cette fête qui aurait lieu ce soir. Pratiquement tous les soirs, elle était invitée quelque part, c’était normal, avec la réputation qu’elle avait. Tout le monde voulait être son ami, tout le monde voulait être à ses côtés. Mais pour elle une seule personne avait compté en temps qu’ami : Mirada, depuis quatorze ans qu’elles se connaissaient, jamais une seule dispute. Les autres, elle s’en servait comme « larbin » en échange de son amitié, il lui faisait ses devoirs et autres tâches que Trisha répugnait faire elle-même.
            Elle songeait toujours à cette fête quand elle arriva en vue de sa maison. Elle descendit de la limousfly qui l’avait amenée et se dirigea vers la porte. N’essayez pas d’imaginer l’extérieur de cette habitation, il n’y en a pas. D’ailleurs si vous regardez bien aux alentours, vous n’y verrez aucun logement, des routes, des voiflys, certes, mais aucune maison, alors qu’au point où vous vous situez, vous êtes en plein centre-ville de la capitale de la Sibérie. Vous remarquez seulement quelques portes au bout de tunnels de ciment plongeant directement dans le sol. C’est bien simple, l’été en Sibérie, c’est-à-dire six mois de l’année, la température atteint les soixante degrés, les habitants s’enterrent, les routes sont à l’extérieur, mais leur réplique exacte est symbolisée par d’autres tunnels à l’intérieur, sous les rues d’en haut.
            La jeune fille ouvrit la porte, un escalier noir se présenta devant elle, d’un geste naturel, elle sauta à pied joint, le bras e l’air pour que son index atteigne le plafond. À ce contact, une vive lumière surgit. Elle entreprit la descente et arriva à l’entrée d’une maison. Là, deux hommes en noirs l’attendaient. Trisha savait d’où il venait, ainsi que le nom de l’un d’entre eux. Mais ce qu’ils fabriquaient là, elle n’en savait rien. Elle tira de sa poche une petite boîte, quand elle appuya sur un bouton rouge situé derrière, l’objet se gonfla pour terminer en un sac à dos rouge. Elle se dirigea, l’air de rien, dans un salon de luxe. Ici, l’argent de son père avait été dévoilé dans toute sa splendeur. Elle s’affala dans un fauteuil en cuir noir.
-         Alors ? Je vous écoute
Les deux hommes étaient mal à l’aise, cela se voyait à vue d’œil, ils gardaient la tête
baissée et se tripotaient sans cesse les mains. Au bout d'un moment, l’un d’eux prit la parole, sa voix tremblait, il laissait l’étrange impression d’avoir peur de la jeune fille, comme si elle pouvait, en un claquement de doigts, le foudroyer sur place.
-         Mademoiselle, votre père ne reviendra plus.
Trisha n’afficha aucun de ses vrais sentiments. Elle avait bien trop compris ce que
signifiait cette phrase, beaucoup trop. Ce n’était pas pour autant qu’elle allait renoncer à ses vieilles habitudes ! Jamais, elle ne montrait ce qu’elle ressentait vraiment. Elle ne répondit pas à l’homme, qu’elle connaissait sous le nom de Victor, jugeant toutes paroles inutiles. Elle le regardait, sans aucune expression apparente. Trisha attendait. Quoi ? Elle n’en savait strictement rien, juste la sensation qu’il allait lui donner quelque chose, une chose qui bouleverserait sa façon de penser et d’agir. Effectivement, Victor lui donna tendit une enveloppe, mais la jeune fille doutait sérieusement que ce bout de papier allait révolutionner quoi que ce soit.
            Gentiment, elle leur adressa un sourire et prit l’enveloppe. Elle leur fit signe de se retirer, leur indiquant d’un petit geste de la tête, la sortie. En fait, elle attendait qu’ils partent pour pouvoir laisser couler ses larmes. Même si en apparence elle n’avait jamais vraiment aimé son père, son cœur était plein de cet amour père-fille, bien qu’elle ne l’ai jamais avoué. La perte de son géniteur laissait échapper quelques pleurs, et cela la vexait plus qu’autre chose.
            Les deux hommes partis, les larmes sorties, elle déchira l’enveloppe. À l’intérieur, une lettre sur du papier sortant tout droit du ministère de la Culture. Il était recouvert de l’écriture italique et quasi illisible de feu son père. Elle la parcourut attentivement :
           
Ma petite-fille.
Cette lettre tu l’auras normalement avant d’avoir eu tes seize ans. Mais l’important n’est pas de savoir quand tu vas la détenir, mais ce que tu feras de son contenu. Dans la pièce où tu n’es jamais allée, ce trouve la machine. Ma chérie, je sais que tu ne t’es jamais préoccupée de l’avenir des humains ni même de leurs problèmes présents, mais rend toi je t’en prie, dans cette salle, actionne la machine. Je l’ai déjà réglée sur la date. Je te demande d’empêcher le massacre de l’être humain. Tu auras deux jours top chrono pour réparer l’erreur. Quand tu verras la date, tu sauras de quelle erreur je veux parler.
Ton père,
Qui t’aime très fort.

            Ce fut la curiosité avant le devoir qui guida ses pas. Trisha se rendit dans la seule pièce de la maison où elle n’était jamais encore allée, depuis dix ans qu’ils possédaient cette demeure. Cette salle était minuscule et ce minime espace était occupé par un cercle de fer ainsi que de ce qui semblait être une ancienne table de mixage. La jeune fille était obligée de regarder à terre pour pouvoir avancer, des kilomètres de fils serpentaient tous de l’étrange table au cercle. Elle s’approcha du bureau dont la surface faisait penser à un nid d’abeilles tant il y avait de boutons. Enfin, d’après ce que Trisha avait vu dans les livres, c’était le genre d’animaux qui avait disparu avant même que son arrière-grand-mère ne naisse. Dans cette multitude de bosses se trouvait une manette terminée par un petit carré vert et rouge. Elle rigolait en elle-même, toutes ces installations semblaient dater du siècle dernier et encore ! La jeune fille aurait plutôt dit de la Première Guerre mondiale qu’ils avaient vaguement étudié. Elle relut la lettre qu’elle tenait toujours dans sa main. Son regard alla de ce papier au levier sur la table de mixage. Soudain, elle laissa tomber le papier du ministère et poussa vers le haut la manette en appuyant sur le bouton carré du dessus. Une date s’affiche sur un petit écran. Le 10 juillet 2109, elle sursauta, même après sa mort, son père lui parlait du 12 juillet 2109 ! Mais elle n’eut guère le temps de poursuivre ses investigations de son passé. Le contour du cercle de fer s’illumina soudainement d’une lumière verte et orange. Un bruit de moteur des dernières voitures, un ronronnement discret et chantant, emplit l’espace clos de la petite salle. Trisha sursauta et détourna son regard de l’écran pour venir le poser sur ce trait de lumière. Ses yeux se mirent à pétiller. Quand elle raconterait ça à Mirada ! Elle n’en croirait pas ses oreilles. Mais cet avenir s’effaça bien vite de son esprit, quand, sur sa droite, un petit appareil, qu’elle n’avait pas remarqué, s’ouvrit en quatre et laissa échapper de son sein un hologramme de son père. Celui-ci, tout doucement, pas des gestes, lui fit comprendre qu’il fallait qu’elle saute dans ce cercle. Trisha resta pétrifiée sur place à regarder l’emplacement où quelques secondes auparavant, se tenait l’image virtuelle de son géniteur défunt, puis, sans réfléchir, sauta à pied joint.

*

            Des immeubles délabrés. Des voitures en feu où finissant de se consumer. Des sans-abri fouillant les poubelles. Des enfants jouant au football avec un cadavre de rats. Une odeur d’urine, de pourriture et de gaz. Trisha se dégagea du tas d’ordures où elle s’était retrouvée allongée. Elle regarda autour d’elle, se bouchant le nez. Elle regarda autour d’elle, ouvrant des yeux comiquement écarquillés.
-         Qu’est-ce que c’est que ça ? marmonna-t-elle, portant une main à la bouche pour
retenir son envie de vomir.
Elle s’avança, se tenant aux parois accessibles, car la plupart ne l’étaient pas, il aurait
fallu enjamber deux mètres d’ordures avant de les atteindre. Marchant ainsi, une main toujours sur la bouche et le nez, elle déboucha sur une rue qui n’avait rien à voir avec celle qu’elle venait de traverser. Des maisons neuves au crépi blanc détenaient toutes une petite parcelle de terrain. Elle lâcha le mur et regarda l’une des luxueuses bâtisses. Celle qu’elle admirait portait le numéro 6 et sur la porte, qui semblait faite de chêne, une étiquette avait été mise sous verre, révélant le nom du propriétaire de cet endroit : Mr René Depoivrel. Trisha retint un rire en lisant le nom qu’elle jugeait ridicule de ce monsieur.
            Une enveloppe blanche retint son attention. Elle était posée sur le perron de façon à ce qu’elle avait vu que de là où la jeune fille se tenait. Celle-ci regarda des deux côtés de la rue, personne. Doucement et prudemment, elle enjamba la clôture blanche et alla ramasser l’enveloppe. La curiosité peut être un vilain défaut, mais Trisha en tant que curieuse se plaisait à dire que ce trait de caractère pouvait être très utile même nécessaire. Cependant, quand elle eut cette enveloppe dans la main, elle hésita. Et si Mr Depoivrel sortait au même moment, ou s’il revenait d’une balade ? Elle retourna le papier. Ce ne fut plus la curiosité qui la fit décacheter l’enveloppe, ce fut la peur. À l’endroit où, généralement, l’envoyeur mettait l’adresse du destinataire se trouvait son prénom, Trisha. En tremblant, elle l’ouvrit nerveusement.  À l’intérieur, une lettre sur le même papier que celle de son père.

Trisha.
Je savais que tu viendrais, ne t’inquiète pas, je me suis occupé depuis longtemps de Mr Depoivrel, il ne t’embêtera pas. Maintenant que tu es ici, je vais te demander d’aller rue Marignan, ce n’est pas très loin de là où tu es. Dans cette rue, il y a un immeuble blanc, rentre à l’intérieur, prend l’ascenseur pour aller à l’étage -6. Là-bas, tu auras devant toi un mur, frappe cinq fois avec ton poing droit. La paroi devrait s’ouvrir, rentre et...

            À partir de là, le texte devint illisible, Trisha avait beau plisser les yeux, elle n’arrivait pas à relire son père. Elle laissa tomber la lettre. Sa décision fut vite prise, apparemment, si elle voulait retourner chez elle, il fallait aller dans cet immeuble. La jeune fille soupira. Pourquoi avait-il fallu que son père fût à tel point préoccupé par ses deux bombes et l’avenir de ce qu’il appelait « l’Oasis Humaine » ? Une larme traça son chemin sur sa joue, une larme de colère. Du revers de sa manche elle l’essuya, ce n’était pas maintenant qu’elle allait se mettre à pleurer comme une fillette ! D’un pas décidé, elle prit à droite. Il lui semblait que ses pieds la guidaient et non le contraire. Elle déboucha rue de la Ferme, rue Pacotille, rue Zarbi et ce fut au dernier tournant d’une impasse, dans laquelle elle arriva assez rapidement, qu’elle fut dans la rue Marignan. Celle-ci était composée d’immeubles de toutes les couleurs, l’un jaune d’œuf, l’autre bleu ciel... seul un possédait celle de l’innocence, le blanc et ne détenait qu’une seule et unique porte d’entrée.
            La jeune fille eut un mouvement de panique, comment allait-elle faire pour entrer ? dans les anciens films de cette époque, elle avait remarqué que les personnes entraient dans les habitations avec leur empreinte de pouce. Une voix, qui n’était pas la sienne, vint lui donner une réponse : le système était en morceau et tout le monde pouvait entrer quand il voulait. Trisha regarda derrière elle, aucun être vivant aux alentours. La peur s’empara d’elle. Sentiment de lâche dirait l’un, le courageux doit avoir peur ne serait-ce que pour la braver, dirait l’autre. Qui avait parlé ? Poussée par l’impression d’être observée, la jeune fille se mit à courir. Son souffle si fit court, elle commença à suer de tous les pores de la peau et puis, regardant de nouveau derrière elle, Trisha trébucha sur une boîte de conserve. Quand elle se releva, hors, d’haleine, elle s’aperçut qu’elle était juste devant l’immeuble blanc, seul rescapé d’un goût peu certain. A nouveau, elle jeta un coup d’œil des deux côtés de la rue, toujours personne, cela lui paraissait bizarre mais elle haussa les épaules et poussa la porte qui s’ouvrit sans difficulté.
            Elle se retrouva dans un vulgaire hall d’immeuble tout à fait banal pour l’époque où elle se trouvait. Devant elle, se tenait un ascenseur, ses deux portes mécaniques grandes ouvertes sur sa gueule béante. La jeune fille ne se fait pas prier et entra presque en courant, à l’intérieur de la minuscule cabine. Aussitôt, une voix robotique lui demanda : «  Quel étage ? ». Trisha nullement impressionnée par cet équipement dépassé, répondit : « 6 ». Dans un bruit de pétard, les portes grises se refermèrent et l’ascenseur commença la descente.
            Quant à nouveau, les portes s’ouvrirent, ce fut pour permettre à Trisha d’admirer un mur. Un immense mur de briques, un mur tout à fait normal. Elle le regarda un peu déconcertée même si dans la lettre on lui avait dit à quoi elle devait s’attendre. Mais, tout de même, elle s’était imaginé quelque chose de plus... bref, elle aurait aimé voir autre chose pour un endroit qui cachait deux bombes nucléaires, deux bombes qui allaient bientôt régler le destin de l’humanité à jamais.
            Suivant à la lettre les instructions, la jeune fille tapa cinq fois avec son poing droit, ce qui lui arracha un cri de douleur. Elle venait de se déchiqueter la main. Rien ne se produisit. Elle poussa un soupir et releva son malheureux poing, quand le pan du mur se leva, allant s’incruster dans le plafond. Devant elle, le noir. Elle ouvrit de grands yeux pour tenter d’apercevoir le moindre objet, le moindre mouvement. Elle fit un pas, deux pas et se retrouva clouée sur place. Deux hommes avaient surgi des ténèbres, habillée tout de noirs et venait de la plaquer au sol. Trisha hurla.
            Elle se réveilla en sursaut, la sueur dégoulinant de son visage. La bouche pâteuse, la gorge sèche, elle essaya d’émettre un son, en vain. Quand ses yeux se firent à la lumière qui venait d’éclabousser son visage, elle se rendit compte qu’elle était chez elle, dans son canapé de cuir. Dans son salon qui sentait l’argent de son père à l’autre bout du continent. Elle sursauta à nouveau quand une voix masculine lui déclara :
-         Mademoiselle, désolé de vous avoir réveillé.
          Trisha se retourna. Deux hommes habillés de noir la regardaient avec dans leurs yeux comme de la peur et de la gêne.
-         Y a pas de mal Victor. Que se passe-t-il ?
Au moment où elle prononça cette question, elle le regretta. Elle resta assise, la bouche ouverte à regarder le visage de l’homme qui lui faisait penser à celui de son rêve. Elle put enfin reparler quand celui-ci vint se gratter l’oreille comme gênée par le silence.
-         Non, non. Ne me dites pas que...
Pour la première fois de sa courte vie, la jeune fille laissa deviner ses sentiments aux
personnes qu’elle avait en face d’elle, et il semblait bien que ce soit aussi la dernière.
            Victor baissa la tête, sa voix était mal assurée et des tremblements le secouaient.
            - Si mademoiselle. Votre père ne reviendra plus.