lundi 5 juillet 2010

Trou Noir



Les gens s’imaginent des choses merveilleuses. Ils inventent des histoires pour sortir de leur monde trop futile, trop organisé, trop prévisible. Mais lorsqu’on leur propose de sortir de cet univers ennuyant, ils refusent. Je me demande bien pourquoi. Mais je n’écris pas ici pour faire de la psychologie humaine. Je vais vous raconter une histoire moi aussi, mais à la différence des autres, celle-ci est vraie. C’est ce qui m’est arrivé un beau jour de juin. J’habite dans un petit village pas très loin de Clermont-Ferrand, un trou perdu dans les montagnes. Comme d’habitude, j’ai fui la maison, mes parents sont en instance de divorce et malheureusement, quand ils ne se disputent pas, ils se font des crasses mutuellement. La plupart du temps, je me réfugie dans les bois, mais ce jour-là, j’avais envie de me promener en haut de la colline.
L’air y était vivifiant, et je me sentais bien, assise en tailleur, regardant la vallée s’étendre sous moi. J’avais apporté un petit poste audio et je mettais le volume au maximum, écoutant les sons des guitares se répercutant sur les rochers. J’aurais pu rester ainsi des journées entières, je crois bien, mais quelque chose a surgi du sol à cinq mètres de moi. Au début, je n’osais m’approcher, de peur de découvrir une mine ou ce genre de trucs que vous voyez dans les films et les livres. En fait, ce n’était qu’un vulgaire trou, mais quand je me suis penché, je n’en ai pas vu le fond. La cavité s’enfonçait dans le sol à perte de vue, les parois bien droites comme si quelqu’un avait foré à cet endroit précis. Le problème c’est que… il n’était pas là avant mon arrivée, ce trou. Je me suis penchée, et penchée, encore un peu plus. Mon pied droit a glissé sur une pierre et je battais des bras pour retrouver mon équilibre, cette brèche faisait bien ses deux mètres de long et je n’aurais aucun mal à y tomber. Mais j’ai senti quelque chose m’agripper par la capuche de mon T-shirt. Un contact aussi froid qu’un glaçon. Cela me rappelait la truffe de notre chien avant qu’il ne tombe malade. Je me suis retournée.
J’ai eu tellement peur, que je crois bien que j’ai hurlé. Je ne vais pas vous raconter des fariboles pour conserver ma dignité. Ce qui se tenait devant moi était un homme parfaitement normal, du moins je le pensais, et il était même plutôt beau dans son genre. Je me souviens parfaitement d’avoir regardé ses yeux et de m’être dit qu’il avait vécu des choses horribles pour avoir de tels yeux. Lorsque vous le regardez face à face, vous vous perdez au fin fond de ses pupilles, regardant la mort et la destruction. Il pleurait. Je n’ai pas bougé, je n’ai pas parlé. J’étais à genoux devant lui. Petite chose insignifiante devant une immense statue silencieuse. Quand il m’a parlé pour la première fois, mes poils se sont hérissés et mon ventre se noua. Sa voix. Je pense que personne ne peut l’oublier et je ne peux même pas la décrire, elle est si belle, mais aussi si terrible, elle me fait penser à la glace et au feu comme si ces deux éléments avaient été réunis pour ne former qu’un tout.
- Je suis désolé.
Je l’ai alors regardé, les larmes roulaient toujours sur ses joues, silencieuse pluie de
tristesse. Je me suis levée et je l’ai pris dans mes bras. Pourquoi ? Je n’en sais rien. Il m’avait l’air si… affaibli, si vulnérable. Je n’ai pas pensé une seconde qu’il pouvait ne pas être inoffensif, cela ne m’a pas traversé l’esprit. Pour moi, je l’avais en fait toujours connu, je lui faisais confiance.
- Pourquoi êtes-vous désolé ?
Il me repoussa gentiment pour me regarder dans les yeux. Ses cheveux coupés court
frémissaient au vent.
- Je t’ai fait peur.
J’ai haussé les épaules et me retournais vers le trou. Je remarquais que les bords de la
cavité fumaient légèrement, comme si un objet à très grande vitesse avait traversé la Terre d’un bout à l’autre, provoquant un réchauffement des parois qu’il avait creusé.
— Vous êtes un extra-terrestre ?
- Non.
Il m’avait répondu, un sourire aux lèvres, comme si ma question l’amusait.
- Ah oui ? Alors, vous expliquez comment ça ?
Je lui pointais du doigt le trou au milieu de la colline.
- Je ne suis pas de ce monde, mais je suis humain. Autant Humain que toi, aussi
Humain que je puis l’être.
- Pas de ce monde ?
Je commençais sérieusement à douter de la capacité intellectuelle de cet homme. J’en
ai lu des romans de science-fiction, j’en ai vu des films ou des séries sur ce même sujet. Mais il ne fallait pas me prendre pour une idiote, on m’avait inculqué l’idée que tout ça, ce n’était que de la fantaisie pure.
L’homme me tourna le dos et se dirigea vers ce qui m’avait semblé de loin un gros buisson. Je le suivis, attendant l’explication.
- Oui. En fait vois-tu, je suis de la Terre, je viens d’ici, de ce même village.
- Je ne t’ai jamais vu
- Laisse-moi finir !
Je me tus, vexée, amusée, et impatiente. Toutes ces émotions avaient fait augmenter
mon adrénaline de façon stupéfiante, je sentais mon cœur battre dans ma poitrine. Boum Boum, Boum Boum.
- Vois-tu, je viens d’un univers parallèle. Je viens d’ici mais d’ailleurs.
- Je sais ce qu’est un monde parallèle. Ce que j’aimerais comprendre c’est pourquoi
ici ? Et pourquoi êtes-vous venus dans cet univers là ?
L’homme ignora son interruption.
- En fait, les univers parallèles sont habités par les mêmes personnes sauf que les
différents choix qu’elles font dans leur vie engendrent un autre univers. Ici, je ne suis pas né, parce qu’ici mes parents ont décidé de ne pas avoir d’enfant. Dans mon univers, ils ont décidé le contraire.
Ce que j’avais pris pour un buisson était en fait une sorte de capsule, une fusée en
miniature. Sa couleur vert foncé m’avait trompée. Je la regardais, j’étais apeurée, mais la curiosité humaine est plus forte que tout. J’ai touché cet engin, mes doigts laissèrent dessus une trace roussie et de la vapeur se forma autour de la marque. Il était chaud et presque doux, comme si sa texture était faite comme les peluches.
- J’ai dû venir ici parce que les dirigeants de notre planète ont fait le mauvais choix,
ils ont décidé d’accueillir les Gargaks. Ici, ils ont dit non, et personne ne connaît même leur existence.
Je levais la tête intriguée par ce nom que je ne connaissais pas.
- Les Gargaks ?
- Oui, ce sont une race d’aliens venus d’une autre galaxie, en fait ce sont les seuls
êtres intelligents de tout l’univers avec nous. Ils sont venus parce que leur planète se meurt, trop proche du Soleil, trop proche de la fin. Ils nous demandaient asile, nous leur avons accordé. Pendant quelques mois, tout se passa bien et il y eut une terrible explosion. L’un des résistants humains avait fait sauter la villa du dirigeant des Gargaks. S’ensuivit une guerre. Terrible, nous n’avions pas la même technologie, mais elles étaient à peu près égales. On s’est entretué. J’ai voulu sauver ma planète, j’ai voyagé dans le temps, j’ai modifié le passé. Mais voilà, j’ai modifié en même temps le continuum espace-temps. Ma planète a explosé, j’étais encore dans mon vaisseau. Je l’ai vu de mes yeux.
À ce moment précis, je l’ai regardé et j’ai fouillé dans son regard. J’y ai vu ce qu’il avait vécu. L’horreur et la destruction. Le feu, les flammes, les cris et les pleurs, des larmes et plus rien, le néant total. Le silence impénétrable. Le chaos mort. J’ai senti une larme coulée le long de ma joue.
— Je suis venu ici me réfugier. Mais je ne sais pas si je peux rester.
Je lui ai pris la main et j’ai essayé de le réconforter du mieux que je pouvais. Mais que dire à un homme qui venait de faire sauter sa planète et qui l’avait vu agoniser ? Que dire à quelqu’un qui avait tout perdu en voulant sauver le Monde ? Rien. Je ne pouvais rien dire, je ne pouvais rien espérer.
Aujourd’hui, nous sommes le trois mai 2035, j’ai maintenant quarante-trois ans. Pourquoi j’écris tout cela aujourd’hui ? Pourquoi maintenant ? Je ne sais pas. J’ai l’impression que la fin est proche. Pas ma fin à moi… mais sa fin à lui. Après notre rencontre, nous nous sommes enfuis dans tout l’univers, nous avons tenté de trouver un univers parallèle qui nous conviendrait, mais j’ai appris qu’on ne pouvait pas voyager indéfiniment de mondes parallèles en monde parallèle, c’était trop dangereux, nous sommes donc revenus dans le mien. Il a refait sa vie, comme un homme normal. Il a une femme et deux magnifiques enfants dont je suis la marraine. Il s’est inventé un passé et il a modélisé son avenir. Mais aujourd’hui, je sens qu’il ne tient plus. J’ai écrit cette histoire en sa mémoire et aussi pour dire une chose qui me tenait à cœur.
Si tout petit on vous a dit que ce que vous voyez à la télévision et ce que vous lisez dans les romans n’étaient que pures fantaisies. Détrompez-vous. L’imagination fait parti intégrante de l’être humain. Sans imagination, nous ne sommes rien, le Monde ne serait que chaos et destruction, le rêve serait détruit. Mais d’où vient l’imagination ? Ne vous êtes-vous jamais posé la question ? Elle vient des Étoiles. De ces tas de petites luminescences dans un ciel cendré.
Sortez de votre petit monde bien organisé et trop prévisible, et regardez dans le trou profond. Comme moi, vous n’en verrez pas la fin, mais vous verrez le début de votre vie…

1 commentaire:

Adèle a dit…

Un instant, j'ai cru que tu allai nous raconter ton histoire, Alice. Alice qui tombe dans un trou, qui trouve un autre monde.
Et finalement, on est pas si loin. Un autre monde, de l'imagination. Sous la terre, dans les rêves, dans les airs et au-dela...

J'aime assez celle-là, mais je crois que je préfère celle du clown... Mais je vais la relire, pour être sûre.